Un soir, plein d’espoir
Cher Monsieur,
Ce
lundi-là, j’errais, les pieds dans le néant, le corps incertain
et la tête livrée aux courants d’air. J’ignorais tout
de la vie, comme le plus simple des idiots. Des brumes m’interdisaient
le monde. Je ne comprenais rien ni personne.
Et soudain, je vous ai vu, à une trentaine de mètres de moi. Vous
m’avez regardé bizarrement. Pourtant, vous aviez l’air en
pleine forme. Vous m’avez jeté un caillou que j’ai reçu
dans le menton, puis vous êtes venu vers moi.
- Ça fait mal ! vous ai-je dit.
- Eh, tu n’avais qu’à sourire, m’avez-vous fait remarquer.
Sourire ! J’ignorais ce que c’était. Cela a semblé
vous énerver mais, apparemment, vous n’avez pas souhaité
faire d’histoire. Vous avez donc fourré vos mains dans vos poches
et vous avez décampé.
J’aurais voulu vous comprendre. Pour la première fois, je voulais
comprendre. Seulement, vous étiez parti et c’est difficile de comprendre
les absents. Cette blessure me fit souffrir davantage que celle de mon menton.
Je sentis une tempête me troubler. Mon cœur frémit. Mes mains
se tendirent. Mon corps voulut taper. Une chance que vous n’ayez plus
été là, cher Monsieur…
Ce lundi-là,
j’errais, les pieds dans le néant, le corps incertain et la tête
livrée aux courants d’air. J’ignorais tout de la vie, comme
le plus simple des idiots. Des brumes m’interdisaient le monde. Je ne
comprenais rien ni personne.
Et soudain, je vous ai vu, à une trentaine de mètres de moi. Vous
m’avez regardé bizarrement. Pourtant, vous aviez l’air en
pleine forme. Vous m’avez jeté un caillou que j’ai reçu
dans le menton, puis vous êtes venu vers moi.
- Ça fait mal ! vous ai-je dit.
- Eh, tu n’avais qu’à sourire, m’avez-vous fait remarquer.
Sourire ! J’ignorais ce que c’était. Cela a semblé
vous énerver mais, apparemment, vous n’avez pas souhaité
faire d’histoire. Vous avez donc fourré vos mains dans vos poches
et vous avez décampé.
J’aurais voulu vous comprendre. Pour la première fois, je voulais
comprendre. Seulement, vous étiez parti et c’est difficile de comprendre
les absents. Cette blessure me fit souffrir davantage que celle de mon menton.
Je sentis une tempête me troubler. Mon cœur frémit. Mes mains
se tendirent. Mon corps voulut taper. Une chance que vous n’ayez plus
été là, cher Monsieur…
Le mercredi
suivant, je vaquais, les pieds dans le néant et le corps incertain. J’ignorais
presque tout de la vie, comme un simple idiot. Des brumes me voilaient le monde.
Je ne comprenais encore rien ni personne.
Et soudain, je vous ai vu, à une vingtaine de mètres de moi. Vous
m’avez regardé encore plus bizarrement. Vous aviez l’air
un peu moins bien. Vous m’avez jeté une pierre que j’ai reçue
dans le nez, puis vous êtes venu vers moi.
- Ça fait mal ! vous ai-je dit.
- Eh, tu n’avais qu’à rêver, m’avez-vous fait
remarquer.
Rêver ! J’ignorais ce que c’était. Cela a aussi
semblé vous énerver mais, apparemment, vous n’avez pas encore
souhaité faire d’histoire. Vous avez donc fourré vos mains
dans vos poches et vous avez décampé.
J’aurais vraiment voulu vous comprendre. Pour la deuxième fois,
je voulais comprendre. Seulement, vous étiez encore parti et c’est
très difficile de comprendre les absents. Cette blessure me fit souffrir
bien davantage que celle de mon nez. Je sentis un ouragan me secouer. Mon cœur
gémit. Mes mains se crispèrent. Mon corps voulut briser. Une chance
que vous n’ayez plus été là, cher Monsieur…
Le vendredi
d’après, je déambulais, les pieds dans le néant.
J’ignorais l’essentiel de la vie, comme un idiot Des brumes m’estompaient
le monde. Je ne comprenais toujours rien ni personne.
Et puis soudain, je vous ai vu, à une dizaine de mètres de moi.
Vous m’avez regardé toujours plus bizarrement. Vous aviez l’air
encore moins bien. Vous m’avez jeté un pavé que j’ai
reçu dans le front, puis vous êtes encore venu vers moi.
- Ça fait mal ! vous ai-je dit.
- Eh, tu n’avais qu’à aimer, m’avez-vous fait remarquer.
Aimer ! J’ignorais ce que c’était. Cela a semblé
vous énerver plus que jamais mais, apparemment, vous n’avez toujours
pas souhaité faire d’histoire. Vous avez donc fourré vos
mains dans vos poches et vous avez décampé.
J’aurais absolument voulu vous comprendre. Pour la troisième fois,
je voulais comprendre. Seulement, vous étiez une nouvelle fois parti
et c’est très, très difficile de comprendre les absents.
Cette blessure me fit souffrir nettement plus que celle de mon front. Je sentis
un raz-de-marée me submerger. Mon cœur rugit. Mes mains se serrèrent.
Mon corps voulut écrabouiller. Une chance que vous n’ayez plus
été là, cher Monsieur…
Ce dimanche
matin, je me promenais. J’avais l’impression d’exister un
peu. Je ne me sentais plus si idiot. Quelque chose d’impalpable me le
soufflait. Les brumes s’effilochaient, me laissant deviner le monde. Pour
la première fois. Pourtant, je ne savais toujours pas sourire, ni rêver,
ni aimer. Les trois en même temps.
Et puis soudain, je vous ai vu, juste devant moi. Vous m’avez regardé
plus que jamais bizarrement. Vous aviez l’air très mal. Vous m’avez
jeté un rocher. Une immonde tentation s’empara de moi. Mon cœur
vomit. Mes mains se bétonnèrent. Mon corps voulut massacrer. Je
faillis me défendre mais, dans un improbable sursaut, je me dis :
« Ne sois pas si bête ! »
Et je me baissai.
Vous l’avez échappé belle, cher Monsieur.
Derrière moi passait une vieille dame. Le rocher fit tomber son chapeau.
Vous allâtes la voir, alors qu’elle le récupérait,
les reins au supplice.
Je n’entendis pas ce qu’elle vous dit mais votre visage changea.
Vous fûtes d’abord un peu étonné, ce qui m’ébranla.
Vous fûtes ensuite surpris, ce qui me chamboula. Enfin, vous fûtes
abasourdi, ce qui me bouleversa.
Je ne savais plus où j’étais. Les brumes s’évanouissaient.
Je vibrais. Je commençais à comprendre.
La vieille dame s’assit dans un coin. Vous vous installâtes à
côté d’elle et moi, à votre insu, discret comme un
souvenir fragile, un ultime lambeau de brume accroché dans mes pensées,
je me tapis tout près, parfaitement prêt. Alors, d’une voix
plus fraîche que l’eau d’une source, elle raconta des histoires.
Mon cœur s’épanouit. Mes mains s’ouvrirent. Mon corps
se détendit.
Et le monde s’offrit à moi.
Pour la première fois, je comprenais. C’était extraordinaire.
J’ai
lu quelque part que vous allez maintenant raconter des histoires. Me permettez-vous
de venir vous écouter ? M’autorisez-vous à vous dire
celles que je connais ? Quand on raconte, même les histoires des
autres, on se raconte soi-même. Ainsi, cher Monsieur, nous nous comprendrons
mieux et peut-être deviendrons-nous amis.
J’en souris d’avance.
J’en rêve aussi.
Sûr et certain, j’aimerai.
Votre ami espéré,
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© Philippe Barbeau 2009