Joseph se passa une main dans les cheveux et, le regard navré, regarda sa feuille en pestant :
- Pfff ! Je sais rien dans ce contrôle d’histoire. Qu’est-ce que c’était, d’abord, un agent de liaison pendant la guerre 14/18 ?
Une formidable explosion retentit soudain. Joseph se protégea le crâne comme il put avec ses bras. Une nuée de petits cailloux crépita sur lui puis le calme revint.
- Ben, il est pas tombé loin celui-ci, mon Lieutenant !
- Comme tu dis, mon brave Molinier. Faut demander au commandement de rallonger le tir et on n'a plus de fusées.
Joseph n’avait toujours pas bougé et tentait de deviner d’où venaient ces paroles quand quelqu’un lui tapa sur l’épaule.
- Joseph ! Tu peux sortir la tête de tes bras. La guitoune a encore tenu ce coup-là. Tiens, va porter ce pli au commandement.
Joseph regarda enfin autour de lui. Il se trouvait dans une espace de cabane souterraine vaguement éclairée par une faible lampe à huile. Un homme à l’uniforme bleu horizon venait de l’apostropher.
- Où… Où suis-je ?
- Ecoute, Joseph, tu me feras pas croire que tu sais pas où tu es ? Et puis, c’est pas ton genre de tirer au flan et de refuser les missions…
Joseph prit le papier que lui tendait le lieutenant. Dessus, il y avait écrit « urgent ». Il le plia, le glissa dans sa poche de capote bleu horizon puis vérifia la jugulaire du casque de métal qui lui protégeait la tête.
La porte de la guitoune s’ouvrit soudain et Joseph se retrouva propulsé dehors, au fond d’une tranchée. Au-dessus du parapet de terre, là-bas, très loin, il devinait le sommet d’une colline qui se découpait sur le ciel gris.
- Il faut que j’aille là-bas, gémit-il.

Il réfréna une furieuse envie de reintégrer la guitoune quand une nouvelle explosion retentit. Il se plaqua d’instinct au fond de la tranchée, en plein dans une flaque de boue dont il ne se préoccupa pas le moins du monde. Puis il se releva et partit aussi vite qu’il le pouvait en direction de la colline.
Les obus explosaient maintenant en quantité autour de lui. Gerbes de feu et de fer qui labouraient le sol. Une toutes les deux ou trois secondes. Il ne prenait plus le temps de se plaquer et progressait à demi-courbé, ne pensant plus qu’à une chose : arriver le plus vite possible au poste de commandement, si possible sans blessure et là, il savait que seule la chance pouvait quelque chose pour lui.
Jusqu’alors, il ignorait tout de l’enfer mais là, il savait qu’il se trouvait en plein cœur. Un enfer inventé par la folie humaine. Avec une abominable odeur de poudre et de pourriture. Un paysage monstrueux de terre retournée, d’arbres réduits à de vulgaires moignons, d'objets disparates, d'armes tordues, disloquées et de corps hachés.
Joseph courrait, courrait, courrait. Il ne se préoccupait plus de rien sinon atteindre son but. A un moment, un fil de fer barbelé lui déchira cruellement le dessus de la main, mais il n’y attacha aucune importance.
Il lui fallait passer coûte que coûte !
Combien de temps Joseph mit-il pour parvenir au poste de commandement ? Il ne saurait jamais le dire. Ce n’était sans doute qu’une demi-heure tout au plus mais, pour lui, c’était une éternité.
Il salua le général qui se trouvait là et lui tendit le papier. L’homme le regarda, prit le message et lui demanda :
- Comment avez-vous fait pour passer à travers un tel bombardement ?
- Je sais pas mon général. Y avait écrit urgent sur le papier, alors fallait que je passe…
Une nouvelle explosion retentit, beaucoup plus lointaine cette fois, mais Joseph ne put s’empêcher de fermer les yeux.
Quand il les rouvrit, il était à nouveau en classe. Maintenant, il savait ce qu’était un agent de liaison pendant la guerre 14/18 et il venait de l’écrire sur sa feuille qu’il tendit à la prof. Celle-ci prit la copie puis, voyant la vilaine blessure que Joseph avait sur le dos de la main, elle lui demanda :
- Où t’es-tu fait ça ?
Joseph lui sourit tristement puis souffla :
- Bah ! Ce serait trop compliqué à vous expliquer…

Philippe Barbeau

© Philippe Barbeau 2009