J’adore les araignées.

Je les aime tellement que je les collectionne, que je les élève même.

Il y a les grandes velues championnes de la chasse à courre, qui attrapent leurs proies après de longues poursuites aussi enthousiasmantes que celles de guépards aux trousses de gazelles.

J’aime aussi beaucoup ces brodeuses d’exception qui tissent des toiles aux fils d’argent. Mon cœur s’enflamme toujours à la vue de leurs œuvres, quand la rosée des petits matins ensoleillés y accroche la lumière du jour naissant.

J’adore observer les embusquées, lorsqu’elles se campent dans l’ombre d’un inoffensif recoin et attendent patiemment qu’une proie passe à leur portée.

Leurs corps sont fascinants. Huit pattes superbes, parfaitement proportionnées. Un céphalothorax aux formes rondes, avec six ou huit yeux, une vraie batterie de phares dignes des plus performantes voitures de rallye. Et que dire de leurs chélicères, ces redoutables armes de mort qui paraissent pourtant si innocentes. Quant à l’abdomen, une merveille ! Quel bonheur de regarder de près le diadème qui orne celui de l’épeire. Il est superbe et vaut bien tous les bijoux du monde, même ces rivières de diamants que reines et princesse aiment porter à leur cou.

J’ai une impressionnante collection d’araignées venant du monde entier. J’en fais l’élevage et fournis nombre d’autres collectionneurs. Mais attention, pas des amateurs, de véritables professionnels chez qui je sais que mes protégées seront heureuses.

Cela dure depuis des années et des années. Autrefois, j’habitais un trois pièces qui se révéla bientôt trop petit. Il me fallut alors déménager pour un appartement plus grand, puis pour un autre encore plus grand, etc. Maintenant, je vis à la campagne, dans une maison totalement isolée, sans voisin pour se plaindre de ma passion.

Ma technique d’élevage et de reproduction s’est améliorée avec le temps et c’est ainsi que, à force de patience, après de multiples croisements et un traitement très particulier des œufs aux rayons ionisants, j’ai pu créer deux araignées géantes.

Une superbe mygale noire aux redoutables poils urticants plus acérés que des piquants de porc-épic. Je l’ai chronométrée l’autre jour, dans le parc, alors qu’elle poursuivait un chien errant. Elle atteint plus de cent kilomètres/heure en vitesse de pointe. Stupéfiant ! Le chien a eu à peine le temps d’avoir peur et n’a sans doute même pas souffert.

L’épeire n’est pas mal non plus et les points blancs de son diadème sont plus grands que la paume de ma main. La première toile qu’elle ait tissée couvrait entièrement la façade de ma maison. Elle était si solide que j’eus tout juste le temps, avant qu’elle ne lui fasse un sort, de délivrer le facteur qui venait m’apporter mon courrier. Depuis, le brave homme ne vient plus. Je ne lui en veux pas. Il a eu une telle frousse ce jour-là, quand les chélicères de ma belle étaient sur le point de s’enfoncer dans sa gorge.

Plus personne ne me rend visite d’ailleurs.

Aucune importance. Je suis heureux avec mes pensionnaires et c’est ce qui compte.

C’est vrai, j’adore vraiment les araignées, en particulier mes deux géantes mais, depuis une semaine, je suis cloîtré dans ma chambre. Impossible de sortir par la fenêtre car l’épeire a tendu sa toile devant. Quant à la mygale, je sais qu’elle me guette de l’autre côté de la porte.

Huit jours que je suis coincé dans ma chambre et je n’ai presque plus de nourriture. Je vais bientôt devoir tenter une sortie… dont je connais hélas l’issue.

J’aime les araignées mais, tout bien réfléchi, je me demande si ce n’est pas une erreur...

Philippe Barbeau

© Philippe Barbeau 2009