Cette histoire se passe voici bien longtemps sur l'île Maurice.

En ce temps-là, il y a déjà des hommes de toutes les couleurs, des plantes de toutes les couleurs, des terres de toutes les couleurs, des oiseaux de toutes les couleurs, des poissons de toutes les couleurs. Il y a aussi des chiens de toutes les couleurs.

Ti'Cabot est un de ces chiens.

Il est marron, avec une oreille blanche, une oreille noire et le museau jaune.

Ti'Cabot est très beau.

Il est aussi très malin.

Un matin de grande chaleur, Ti'Cabot se repose sous un flamboyant. Soudain, son ami Corps-d'Ecume, un paille-en-queue à brins rouges, arrive et lui dit, affolé :

- Vieupoil est blessé au bord du chemin de Trou-aux-Biches à Port-Louis ! On ne sait pas ce qui lui est arrivé.

" Oh ! Oh ! Oh ! pense Ti'Cabot. Quel mystère ! "

Il prend aussitôt la direction du chemin de Trou-aux-Biches à Port-Louis. Il marche, trotte, court et arrive sur les lieux de l'accident. Vieupoil est couché sous un gigantesque ficus.

- Comment va-t-il ? demande Ti'Cabot.

- Il délire, explique Dous'Canine.

Effectivement, Vieupoil répète sans cesse :

- Le dragon aux yeux blancs m'a attaqué ! Le dragon aux yeux blancs m'a attaqué !

Ti'Cabot part aussitôt à la recherche d'indices.

Il fouine, furète, observe et découvre d'étranges traces : deux longues traînées qui ne se rejoignent jamais, comme si l'animal qui les a faites avait deux queues qu'il a laissées traîner.

" Oh ! Oh ! Oh ! pense Ti'Cabot. Quel mystère ! "

Et puis, il sent cette odeur bizarre. Une odeur de fumée désagréable, pas celle d'un bon feu de bois.

" Deux queues, une odeur de fumée désagréable. C'est bien un dragon qui a attaqué Vieupoil ! Il faut que je le retrouve. "

Ti'Cabot hume l'air, flaire l'odeur et suit les traces sur le chemin.

Hélas, de gros nuages noirs arrivent, poussés par un vent violent. Les nuages se déchirent sur le Pouce et il se met à pleuvoir. Il pleut, pleut, pleut. Ti'Cabot s'aperçoit que la pluie efface les traces sur la route et l'odeur dans l'air.

Il revient donc auprès de Vieupoil pour reprendre son enquête à zéro. Heureusement, le blessé s'est calmé et explique :

- C'était la nuit. Je traversais tranquillement le chemin quand le dragon est arrivé. Je l'ai entendu gronder. Ses yeux blancs m'ont aveuglé. Il a rugi et s'est jeté sur moi. Ensuite, je ne me souviens plus…

" Oh ! Oh ! Oh ! pense Ti'Cabot. Quel mystère ! "

Il fouine, furète, observe mais ne découvre rien de nouveau. Il décide alors d'attendre la nuit et retourne chez lui. Là, il s'installe sous le flamboyant et s'endort.

Ti'Cabot rêve qu'il mange un délicieux filet de capitaine lorsque, soudain, Corps-d'Ecume le dérange encore :

- Peti'Crocs est blessé au bord du chemin de Beau-Bassin à Port-Louis ! On ne sait pas ce qui lui est arrivé.

Ti'Cabot aurait bien continué à rêver mais il pense :

" Oh ! Oh ! Oh ! Quel mystère ! "

Il marche, trotte, court et arrive sur les lieux de l'accident. Il se penche sur le blessé qui répète sans cesse :

- Le dragon vert m'a attaqué ! Le dragon vert m'a attaqué !

Ti'Cabot fouine, furète, observe et découvre à nouveau deux longues traînées qui ne se rejoignent jamais et une odeur de fumée désagréable.

" Deux queues, une odeur de fumée désagréable. Le même dragon a attaqué Vieupoil et Peti'Crocs ! Il faut que je le retrouve. "

Il va suivre les traces lorsque le blessé se calme et explique :

- C'était de jour. Je traversais tranquillement le chemin quand le dragon m'a attaqué. Je l'ai entendu gronder et je l'ai vu, vert, énorme. Il a rugi et m'a sauté dessus. Ensuite, je ne me souviens plus.

Ti'Cabot pense :

" Le dragon est vert, énorme, avec deux queues. Il a aussi des yeux blancs qui aveuglent dans la nuit. Il gronde et rugit. Je sais bien comment il est. Je vais le retrouver. "

Ti'Cabot hume l'air, flaire l'odeur et suit les traces sur le chemin.

Malheureusement, un peu avant Port-Louis, les hommes qui bouchent les trous du chemin effacent les traces et, comme un vent très fort se lève, l'odeur disparaît aussi.

Ti'Cabot retourne donc chez lui et se couche à l'ombre du flamboyant.

Il commence à rêver qu'il mange un succulent poulet tandoori quand Corps-d'Ecume revient :

- Le dragon a encore frappé ! Cette fois, il a blessé trois autres chiens sur le chemin de Pamplemousses à Port-Louis !

" Oh ! Oh ! Oh ! pense Ti'Cabot. Le mystère ne peut plus durer. Il faut découvrir le dragon. "

Il se lève donc. Il marche, trotte, court et arrive sur les lieux de l'attaque. Les blessés ont déjà été transportés pour être soignés.

Il fouine, furète, observe, réfléchit et remarque enfin que le dragon a attaqué les chiens à chaque fois sur un chemin qui mène à Port-Louis.

" Il doit se cacher là-bas ! "

Ti'Cabot part donc en direction de la capitale.

Il marche, trotte, court et va atteindre les premières maisons de la grande ville quand, tout à coup, il entend gronder dans son dos.

Et, juste comme il se réfugie dans le champ de canne à sucre voisin, un énorme monstre vert passe dans un grand nuage de poussière. Ce nuage empêche Ti'Cabot de bien voir mais il est certain que c'est le dragon.

" Extraordinaire ! "

Il court à toute allure pour le rattraper.

Hélas, le monstre va très vite. Ti'Cabot le perd de vue mais il hume l'air, flaire l'odeur et suit les traces.

Il y a beaucoup de monde dans Port-Louis : des charrettes tirées par des bœufs, des hommes attelés à des carrioles chargées de légumes et de fruits, des marchands, des clients, des promeneurs. Il y a tant de monde que les traces et les odeurs se mélangent et Ti'Cabot ne sait bientôt plus où est passé le dragon.

Alors, il fouille au hasard.

Il se rend d'abord dans le centre-ville, du côté de la résidence du gouverneur. Pas de dragon ! Il va ensuite dans Chinatown. Pas de dragon !

Il inspecte le quartier autour de la caserne de police. Pas de dragon !

Il revient sur le marché couvert. Pas de dragon !

Enfin, fatigué, il pense qu'il ne retrouvera jamais ce dragon qui sait si bien se cacher.

Il se rend sur le port. Et là, sur le quai où est amarré un énorme bateau, il voit… LE DRAGON !

Le monstre semble endormi et des hommes vont et viennent autour de lui. Certains descendent du bateau avec un sac sur le dos et le chargent sur le dragon. Ce dragon est très fort car il finit par se retrouver avec une énorme quantité de sacs sur le dos. Enfin, un homme lui ouvre une oreille et entre dedans. Quelques instants plus tard, alors que la nuit commence à tomber, le dragon gronde, allume ses yeux blancs aveuglants et, crachant de la fumée à l'odeur désagréable, il rejoint la rue. Ses pattes rondes font deux traces sur la route, comme s'il avait deux queues qu'il laissait traîner.

Ti'Cabot revient à Port-Louis les jours suivants. Il voit que les hommes n'ont pas peur du dragon. Par contre, ils s'en méfient et, avant de traverser la rue, ils regardent d'un côté puis de l'autre. Si le dragon arrive, ils attendent qu'il passe puis ils traversent. Si, parfois, ils n'ont pas bien regardé, le dragon rugit, les hommes reculent alors et le laissent passer.

Ti'Cabot est malin. Il va aussitôt dire aux autres chiens de l'île Maurice comment faire pour traverser sans craindre d'être attaqué.

Depuis, les chiens de l'île Maurice savent que les voitures et les camions sont de dangereux dragons et ils regardent toujours d'un côté puis de l'autre avant de traverser.

Philippe Barbeau

© Philippe Barbeau 2009