Madame Dugenou vint vers moi. Linquiétude marquait ses traits. Elle approcha sa main de ma joue et me caressa dun geste maternel.
- Tu es prêt, Nicolas !
- Plus que prêt, jy vais tout de suite.
Je lui fis une bise rapide et, après avoir pris le sac de toile beige quelle me tendait, je lui adressai un petit signe de la main.
- Bonne chance ! souffla-t-elle, en proie à une forte émotion.
Monsieur Dumolier ne maimait pourtant pas mais, cette fois, il sortit de son atelier pour venir me serrer la main. Cétait un homme droit et il savait reconnaître mon courage.
- Ne vous inquiétez pas, Monsieur Dumolier. Je vais réussir
Ma voix était ferme, posée, mais je nétais pourtant pas sûr de gagner. Je tentais quelque chose de vraiment dangereux, quelque chose que personne, dans le quartier, navait plus tenté depuis bien avant ma naissance. Le dernier à sêtre risqué devait être un soldat américain débarqué en 44 qui ne savait pas ce qui lattendait. On navait rien retrouvé de lui, pas même un soupçon de cendre.
Javais essayé de mettre toutes les chances de mon côté et Madame Dugenou, qui connaissait bien lobjectif, mavait donné un sac garni de ce quil fallait. Javais essayé de tout prévoir, même limprobable comme un pot de fleur tombant dune fenêtre ou une explosion de gaz dans la rue voisine. Enfin, je pensais être fin prêt.
La petite Lili mattendait au coin de la dernière maison. Elle était amoureuse de moi et ça se voyait encore plus aujourdhui. Les étoiles dans son regard et le trouble de ses gestes ne trompaient pas.
- Tu feras attention ! me dit-elle, larmoyante. Et puis, si ça va mal, tu cries au secours. Jai pris le téléphone portable. Regarde !
Elle me montra le petit appareil quelle conservait au creux de sa main comme un trésor inestimable.
- Jappuie là et jai les pompiers en ligne directe
Je lui souris et, bien campé sur mes jambes, rassurant, je lui lançai :
- Ne ten fais pas.
Je la sentis sur le point de me sauter au cou. Alors, après avoir essuyé la larme qui perlait au coin de son il droit, je partis sans attendre. Il naurait pas fallu grand chose pour me retenir. Ma peur grandissait à chaque nouvelle seconde écoulée.
Encore une dizaine de mètres et je serais au seuil de lexploit ou de la défaite cuisante et sans appel.
Tous les autres voisins sétaient postés aux fenêtres et mépiaient. Je devais continuer. Puisque javais dit que je le ferais, il fallait que je le fasse. On ne me pardonnerait aucune faiblesse même si ma vie courait un très grand danger.
Cinq mètres.
Je crus voir bouger le rideau couvert de crottes de mouche.
Quatre mètres. Trois.
Oui ! Le rideau avait bien bougé.
Deux. Un.
Toc ! Toc ! Toc !
Mon cur battait au moins à trois cents à lheure. Javais peur, terriblement peur. Jentendis des pas traînants derrière la porte. Mon cur accéléra encore si cétait possible. La poignée se baissa. Imperceptiblement. Je ne devais pas bafouiller, surtout pas sinon sen était fini de moi. Soudain, le battant pivota et lhorrible bonne femme apparut, avec sa verrue purulente sur le bout du nez, ses rides profondes comme des canyons et son regard de serpent.
- Mauvais jour, Sorcière !
- Mauvais jour ! grinça-t-elle. Il nest jamais de bon jour.
Sa voix était horrible et des crapauds venaient de jaillir de sa bouche, autant que de mots. Je lui tendis tout de même le sac sans quun seul ne me touche.
- Tenez !
Elle le prit, regarda dedans et
sourit. Un éclair aveuglant flasha. La sorcière redevint la princesse quelle était autrefois.
Javais gagné.
Philippe Barbeau