En ce temps là, les sapins ressemblaient aux humains. Ils avaient deux pieds pour marcher, deux branches un peu plus longues en guise de bras et leur cime formait une très belle tête.
Ils habitaient une grande ville, près du cercle polaire. Une grande ville avec des maisons, bien sûr, des magasins, évidemment, des cinémas, des cafés, des restaurants et même une école.
En effet, les sapins, comme les humains, avaient des enfants qui allaient à lécole pour devenir savants.
Comme les enfants des humains, les enfants des sapins jouaient, couraient, riaient. Ils mangeaient des bonbons, dévoraient des gâteaux et se régalaient de glaces.
La plupart étaient très sages mais, hélas, certains létaient un peu moins et faisaient des bêtises. Il y en avait même de terribles qui faisaient quantité de grosses bêtises.
A chaque fois quun jeune sapin commettait une bêtise, il se faisait enguirlander, car chez les sapins, on ne disait pas gronder mais enguirlander.
Pom était un de ces sapins pas très sages. Il inventait quantité de bêtises et se faisait donc souvent enguirlander. A chaque fois, il était malheureux... mais cela ne lempêchait pas de recommencer.
Or, un soir dhiver, vers la fin de lannée, il fit une grosse, une énorme, une gigantesque bêtise. Il provoqua une catastrophe et son papa et sa maman lenguirlandèrent comme jamais.
Pom était terriblement malheureux. Il était si malheureux quil décida de quitter sa maison. Alors, il cassa sa tirelire, mit largent au fond de sa poche et sen alla.
« Je pars, se dit-il, comme ça, je ferai ce que je voudrai et je ne me ferai plus enguirlander. »
Pom marcha dabord dans la ville. Il alla de rue en rue. Il emprunta quantité de trottoirs. Le temps passa tout doucement, trop doucement.
Quelque chose nallait pas.
Il croyait être heureux mais cétait tout le contraire. Il se sentait terriblement seul et, en plus, il avait limpression que tout le monde le regardait et même le montrait du doigt. Il se sentait honteux. Et puis, il avait peur quon le reconnaisse. Il craignait que quelquun dise à ses parents où il était passé. Pire, il redoutait quun policier larrête et le reconduise chez lui dans son traîneau à gyrophare.
Alors, il quitta la ville.
La nuit était claire mais il faisait très, très, très froid.
Pom marcha sur la plaine enneigée. Il avança au hasard sans savoir où aller.
Soudain, au loin, il aperçut quelque chose sur un lac gelé, comme un gros truc arrêté. Il voulut dabord léviter, ne pas sen faire remarquer. Mais, emporté par sa curiosité, il finit par sen approcher.
Il découvrit un étrange attelage : douze rênes superbes attendaient devant un traîneau chargé de dix, cent, mille cadeaux bien empaquetés.
Pom sen trouvait tout près quand il entendit :
- Cornebidouille et fanfreluche ! Tomber en panne juste ce soir ! Cest bien ma chance...
La voix provenait de lautre côté du traîneau. Pom le contourna et découvrit un vieil homme vêtu de rouge, avec un menton rose et bien lisse et une superbe « écharpe » - Pom crut que cétait une écharpe - qui scintillait à la lumière de la lune. Le vieillard tout en rouge observait le patin droit cassé.
- Bonsoir, Monsieur, dit Pom.
Le vieillard tout en rouge releva la tête.
- Cornebidouille et fanfreluche ! Merci pour ton bonsoir mais, pour moi, ce nest pas un bon soir. Mon traîneau est en panne. Et juste ce soir !
Pom sapprocha du patin cassé. Il adorait bricoler. Cétait même souvent à cause de ça quil faisait des bêtises.
- Ce nest pas grave, dit-il. Il suffit de le changer.
- Eh ! Je nai pas de patin de secours... se lamenta le vieillard tout en rouge.
- Il faut en acheter un au magasin.
- Jai oublié mon porte-monnaie et jai perdu ma carte blanhe.
Pom eut alors une idée.
- Attends-moi ! Je reviens...
La ville des sapins nétait pas encore très loin. Il rejoignit le centre commercial à toute allure. Là, il acheta un patin de rechange avec les sous de sa tirelire et revint.
Le vieillard tout en rouge était heureux. Il se plaignit tout de même :
- Cornebidouille et fanfreluche ! Je ne vais jamais pouvoir le changer. Mon traîneau est trop chargé et je nai plus guère de force.
- Attends !
Pom déchargea les paquets puis il aida le vieillard tout en rouge à remplacer le patin cassé. Cela fait, il rechargea le traîneau.
- Cest que, gémit alors le vieillard tout en rouge, jai perdu beaucoup de temps. Je ne pourrai jamais distribuer tous mes cadeaux avant la fin de la nuit.
- Je peux encore taider si tu veux.
Ainsi, le reste de la nuit, le vieillard tout en rouge et Pom, le jeune sapin pas très sage, distribuèrent les cadeaux à tous les enfants humains de la Terre.
Pom déposa le dernier paquet et sortit de la dernière cheminée juste avant que le soleil apparaisse à lhorizon. Le vieillard tout en rouge laccueillit avec un fantastique sourire et déclara :
- Cornebidouille et fanfreluche ! Sans toi, jamais je naurais pu faire mon travail. Tiens, je vais toffrir quelque chose pour te remercier.
Seulement le vieillard tout en rouge était bien embêté : il avait distribué tous ses cadeaux et son traîneau était vide. Alors il enleva « lécharpe » scintillante de son cou pour lenrouler autour du corps du jeune sapin.
- La belle écharpe ! sexclama Pom.
- Ce nest pas une écharpe mais une guirlande. Je viens de tenguirlander !
Quelques minutes plus tard, le vieillard tout en rouge déposa Pom à lentrée de sa ville et le jeune sapin regagna sa maison.
Il marcha de rue en rue. Il emprunta quantité de trottoirs. Tout le monde le regardait. Certains le montraient même du doigt. Mais Pom navait pas honte. Il était fier, au contraire, car il était beau, formidablement beau avec la guirlande autour du corps.
Depuis, les sapins ont bien changé et ne rêvent que de se faire enguirlander à Noël. Le Père Noël, lui, il sest laissé pousser une grande barbe blanche pour ne pas avoir froid au cou.
Philippe Barbeau